« LA RÉGION : SES COMPÉTENCES, SA PLACE EN FRANCE ET DANS L’U.E. »
Henri OBERDORFF
Professeur émérite de droit public à l’Université de Grenoble-Alpes
Directeur honoraire de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble.
Introduction par Mme Antonia BLEY,
présidente du Pôle européen de Lyon et Rhône-Alpes
La loi du 17 décembre 2014 a redessiné une France à 13 régions au lieu de 22, dans le but d’instaurer des régions à taille européenne, moteurs de l’économie et capables d’élaborer des politiques territoriales
Dès le 1er janvier 2016 nous vivrons dans une grande région qui réunira Rhône-Alpes et l’Auvergne. Les limites géographiques auront changé mais il en sera de même pour les compétences. Quelles seront les compétences de ces nouvelles régions élargies ?
L’objectif de la réforme territoriale qui s’est échelonnée en 2014 et 2015 est de réformer le territoire pour réformer la France. Elle a remanié le paysage territorial français dans le but de clarifier, de simplifier, et de rendre efficace l’organisation du territoire.
A côté des collectivités territoriales de droit commun: commune, département et région, on trouve des intercommunalités chargées d’organiser la coopération des communes pour la gestion des questions transversales (déchets, eau, voirie..) et maintenant les métropoles.
Lyon est pionnière dans ce domaine avec la création d’une nouvelle collectivité territoriale, la métropole de Lyon qui absorbe sur le territoire de Lyon et des 59 communes du Grand Lyon les compétences du département. Elle est en fonctionnement depuis le 1er janvier 2015.
Dans cette nouvelle configuration générale du territoire français quelle est la place de la région ? Comment va-t-elle s’articuler avec les autres collectivités, notamment la relation région-métropole ?
Et au niveau européen, quelle est la place de cette nouvelle région qui se rapproche par la taille des Länder allemands ?
Quelles sont les incidences de toutes ces réformes pour notre quotidien ?
Pour répondre à toutes ces questions, nous avons invité un professeur de grand talent qui nous a fait l’honneur de venir depuis Grenoble, le professeur Henri OBERDORFF, professeur émérite de droit public et directeur honoraire de l’IEP de Grenoble, que je remercie vivement d’avoir accepté notre invitation.
Conférence M. Henri OBERDORFF
« La région : ses compétences et sa place en France et dans l’UE »
Les collectivités territoriales sont en réforme permanente dans notre pays. On peut même parler d’instabilité territoriale alors qu’il n’en n’est pas de même dans les autres pays de l’Union européenne. Par exemple, chez nos voisins allemands, l’organisation territoriale en Länder n’a pas vraiment bougé depuis 1949, évidemment sauf lors de la réunification.
La région a été l’objet de réformes fréquentes :
-en 1972, une réforme modeste donne à la région le statut d’établissement public régional,
-en 1982, dans le cadre des lois de décentralisation, les régions deviennent des collectivités territoriales comme les départements et les communes avec une attribution de compétences spécifiques et la clause de compétence générale qui leur permet d’être compétentes pour la mise en œuvre de toute question concernant leur territoire qui ne relève pas de la compétence de l’Etat
-en 2003, les collectivités territoriales sont consacrées par la loi constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République
-en 2010, à la suite au rapport Balladur, une réforme organise le renouvellement concomitant des conseillers régionaux avec les conseillers départementaux au travers de la création du conseiller territorial
-en 2012, une nouvelle réforme abroge la loi de 2010 sur le conseiller territorial et vise à faire disparaître le département à l’horizon 2020.
Deux lois successives des 16 janvier 2015 et 7 août 2015 procèdent au découpage et à l’organisation des régions (voir in fine textes des articles 1, 2 et 10 de la loi du 7 août 2015).
A partir du 1er janvier 2016, les régions recevront un nom définitif par décision des nouveaux conseils régionaux.
C’est une nouvelle étape de la régionalisation à la française, qui se fait par petites touches, car réformer le mille feuilles administratif nécessiterait une révolution. Les régions ne se rapprochent pas sur leur initiative, mais c’est l’Etat qui procède à leur découpage. Il s’agit d’établir des régions compatibles avec les orientations européennes, la région étant au cœur du dispositif des fonds structurels puisqu’elle est chargée de leur distribution.
Cette nouvelle étape de la régionalisation à la française résulte d’un compromis entre plusieurs conceptions de la décentralisation.
Tout d’abord, une conception historique. En effet, il existe une revendication régionaliste dans certaines régions à forte identité. Ainsi, la réforme reconnaît la spécificité de la Corse en lui attribuant un statut particulier.
Une conception purement administrative de la décentralisation, la régionalisation avec les préfets de région déjà définis par Napoléon comme « petits empereurs dans leur territoire », et consacrée par le régime de Vichy. Dans les années 1950, on a conçu les régions de programme, concrétisées notamment par la fusion du Rhône et des Alpes en 1960.
A partir de 1982, une nouvelle conception de la décentralisation régionale est affirmée, avec l’introduction d’un régime électif pour le choix des conseillers régionaux en 1986.
En 2003, la région entre dans la constitution.
Les régions actuelles
En 2015, un nouveau découpage consacre un changement de dimension des régions.
Les régions à partir de 2016
Quelles sont les causes de cette réforme ?
La recherche d’une plus grande efficacité, d’une meilleure compétitivité.
La recherche d’économies de moyens, les économies potentielles pourraient se chiffrer entre 5 et 15 milliards.
La recherche d’une clarification des compétences.
La suppression des départements impliquerait une réforme constitutionnelle adoptée en Congrès (en réunion de l’Assemblée Nationale et du Sénat) ce qui implique de disposer d’une majorité et d’impliquer les sénateurs en lien direct avec les départements. D’où la nécessité de trouver d’autres voies et peut-être de vider le département de ses compétences, de sa substance. Ainsi, le rapprochement entre la Ville de Lyon et le département du Rhône a donné naissance à la Métropole de Lyon.
La région reste la collectivité territoriale la plus malléable car l’identité régionale a du mal à exister alors que l’identité départementale s’est constituée sur 200 ans. Par ailleurs, il est très difficile de faire une fusion des communes en France et nous avons le record européen de communes avec 36 600 communes soit 40 % des communes de toute l’Union européenne.
Quels sont les principaux changements liés aux nouvelles dimensions ?
L’Etat est l’architecte de la réforme. Ce découpage résulte d’un compromis entre une quête d’efficacité et le respect des identités. Il appartiendra, en revanche, au conseil régional de déterminer le chef-lieu et le nom de la région.
-En termes de moyens, le plus gros budget est celui de la région Ile-de-France avec 12 millions d’euros, vient ensuite celui de la région Rhône-Alpes-Auvergne 7,5 millions puis l’Aquitaine avec 5,8 millions, les autres régions ayant un budget avoisinant les 5 millions.
-En termes de population.
La densité de population change avec cette réforme. La densité la plus forte est pour les Pays de Loire suivie par celle de Provence Alpes Côte d’Azur.
-En ce qui concerne le PIB, le premier PIB par habitant est pour l’Ile-de-France avec 51 420 €, puis celui de la région Rhône-Alpes-Auvergne avec 29 900 €, la Picardie avec 25 000 €.
Peu de changements institutionnels, des changements dans les compétences
-En ce qui concerne les institutions de la région, il n’y a pas de changement pour les organes de la région qui sont toujours un président, des vice-présidents, une assemblée régionale élue au scrutin de liste. Le plus grand nombre de sièges de conseillers régionaux sera pour l’Ile-de-France avec 209 sièges suivie par Rhône-Alpes Auvergne avec 204 sièges. On note cependant une baisse du nombre de conseillers régionaux qui passera de 1 800 à 1 700.
–Dans le domaine des compétences, les réformes successives ont spécialisé les niveaux. Ainsi, la commune est le domaine du sol et des équipements de proximité, le département celui de la solidarité, alors que la région a pour mission de donner l’impulsion pour le développement économique et l’aménagement du territoire.
En 2015, le changement le plus important est l’abandon de la clause générale de compétences. On est maintenant dans des compétences d’attribution par la loi. C’est un état d’esprit différent aussi bien pour le département que pour la région. On est passé de la règle « Le conseil régional règle par ses délibérations les affaires de la région» à « Le conseil régional règle par ses délibérations les affaires de la région dans les domaines de compétences que la loi lui attribue. » nouvelle rédaction issue de la loi de 2015 (CGCT, art. L. 4221-1). Cela implique que les conseillers régionaux doivent resserrer leur action sur leurs compétences.
La compétence de la région peut s’analyser comme une compétence de conception car elle ne gère pas vraiment de services lourds. Elle est renforcée dans son rôle d’impulsion et de réflexion sur la vie de la région, en charge de développer des schémas :
-un schéma concernant l’attractivité du territoire : schéma de développement économique, internationalisation, innovation. Ce schéma conçu par la région sera obligatoire pour les départements et même pour l’état. A noter qu’il ne le sera pas pour la métropole de Lyon en application de la loi de 2014 qui lui a donné naissance.
-un schéma concernant l’aménagement du territoire et le développement durable.
Par ailleurs, la région est compétente pour :
-les aides au développement économique
–l’aménagement du territoire
-les transports régionaux
-les lycées
-la formation professionnelle
-la recherche qui lui confère des liens privilégiés avec les universités.
Une région compatible avec l’Union européenne, mais qui reste spécifique face à nos voisins européens
La région française est de plus en plus compatible avec l’Europe tout en restant spécifique. Elle se rapproche des régions européennes par la taille mais elle en diffère par le budget et par l’étendue des compétences.
Ainsi le budget de la région Rhône-Alpes de 2,48 milliards d’euros et de la région Auvergne de 671 millions, n’est pas comparable à celui des Länder allemands.
Cependant, nos régions ont des préoccupations européennes et l’Europe s’appuie sur les territoires régionaux.
En ce qui concerne la gestion des fonds structurels européens, pendant très longtemps le préfet de région en était gestionnaire en dialogue avec le président du conseil régional. Mais un changement très important est intervenu en 2014. En effet la région est devenue un partenaire de l’Etat qui lui a confié la gestion des programmes opérationnels financés par l’Union européenne. A ce titre, les régions vont devenir responsables de l’utilisation des fonds structurels et en conséquence c’est elles qui supporteront les éventuelles condamnations de la Cour de Justice de l’Union européenne.
Le dialogue européen des régions initiée en 1988 avec les 4 moteurs (Bade-Wurtemberg, Catalogne, Lombardie et Région Rhone-Alpes) s’est poursuivi avec les euro-régions transnationales comme la région Alpes-Méditerranée regroupant les régions Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Vallée d’Aoste, Piémont, et Ligurie et avec l’Assemblée des Régions d’Europe qui regroupe 250 régions issues de 35 pays pour promouvoir la coopération interrégionale.
La région française est spécifique par rapports aux autres régions européennes.
En ce qui concerne la comparaison avec l’Allemagne, si la région Rhône-Alpes Auvergne est comparable en termes de superficie avec la Bavière, il n’en n’est pas de même de sa puissance économique.
En effet, l’Etat allemand est fédéral et chaque land détient le pouvoir législatif pour son territoire. Et si l’on compare la totalité du budget des régions françaises soit 28 milliards d’euros, on constate qu’il est dix fois inférieur à la totalité du budget des Länder allemands qui est de 280 milliards. A titre d’illustration, rappelons que la chaîne de télévision ARTE résulte d’une coopération entre la France et les Länder et non avec l’Etat fédéral. Il faut noter également que le poids de la fonction publique des länder est supérieur au poids de la fonction publique de l’état fédéral.
La Belgique compte 3 régions (Wallonie, Flandre et Bruxelles) aux pouvoirs très étendus.
En Italie, les régions ont une dimension identitaire et plus de pouvoirs que les régions françaises.
Il en est de même pour les régions en Espagne :
Au Royaume Uni, l’Ecosse affirme de plus en plus ses pouvoirs.
En ce qui concerne le poids budgétaire,
-il est de 28 milliards pour les régions en France alors qu’il faut rappeler que le budget total des régions allemandes est 10 fois supérieur avec 280 milliards,
-il est de 73 milliards pour les départements
-et de 130 milliards pour les communes.
En ce qui concerne le personnel,
-les régions emploient 82 000 personnes
-les départements 369 000 personnes,
-les communes 1 214 000 personnes.
La région Rhône-Alpes : 6 600 personnes dont 5 100 dans les lycées et 1500 pour l’administration. L’Auvergne 1 770 dont 1 400 dans les lycées et 370 dans l’administration.
La région reste donc dans le cadre des spécificités de la décentralisation à la française. L’existence de cette collectivité territoriale maintient des questions récurrentes sur l’organisation administrative du territoire, notamment celle des niveaux d’administration. Par un phénomène de sédimentation administrative, la région s’est ajoutée, le département est demeuré. Pourra-t-il disparaître un jour ? Il n’est pas certain que la réforme actuelle soit vraiment la dernière.