LA HONGRIE ET L’EUROPE

Conférence 5 avril 2012

« LA HONGRIE ET L’EUROPE »

Henri de MONTETY

Docteur en Histoire, chargé de Recherches à l’Université ELTE-Budapest

Auteur d’Etudes sur la Hongrie à la Revue des Deux Mondes et Marianne 2

La Hongrie dans son histoire récente, c’est la 1ère brèche dans le rideau de fer, l’adhésion à l’OTAN en 1997, l’adhésion à l’UE en 2004 après un référendum sur l’adhésion où le oui l’a emporté avec 80 %  et une abstention de 54 %.

Ce pays avec ses réformes récentes vient de déchaîner les médias main-stream et a irrité Bruxelles au point d’envisager la suspension de son droit de vote dans les institutions.

A tort ou à raison ?

La Hongrie est l’objet de nombreuses attaques dans les médias stigmatisant ses spécificités.

Ainsi « le Monde » a rapporté que la Hongrie avait voté une taxe sur les chiens de race non hongroise, illustrant une mesure xénophobe et raciste. Or, les chiens posent un problème et ont un coût dans les grandes villes, notamment à Budapest. Dans ce contexte, il ne s’agit pas de viser les chiens étrangers, mais plutôt d’exempter les chiens de race hongroise, et cela pour différentes raisons (notamment sociales, patrimoniales, …). Ces raisons, d’ailleurs, sont peut-être discutables, mais les médias qui évoquent cette mesure ne les explorent pas. Les informations s’attachent au symbole et non à la réalité, à la simplicité et non à la complexité.

La Hongrie est un champ de bataille permanent où les anciens dissidents, souvent liés à la gauche libérale, ont la maîtrise de la production des informations et imposent la simplicité.

Pourquoi cette spécificité de la Hongrie ?

Un Polonais à l’étranger se tait même s’il est en désaccord avec la politique de son pays. Le Roumain, une fois la frontière franchie, oublie son pays. Le Hongrois continue à débattre de la politique hongroise à l’étranger, et ainsi s’instaure un va-et-vient permanent.

D’autre part, les clivages droite/gauche n’ont pas la même signification.

Pourquoi les clivages sont-ils aussi puissants ?

La recherche nostalgique et désespérée de l’indépendance et l’occupation turque ont généré une mentalité dualiste face à l’étranger :

– Les radicaux, pour lesquels l’indépendance est le gage de la prospérité ;

– Les accommodants, selon lesquels de la prospérité viendra l’indépendance, enclins au compromis.

Le mouvement de bascule entre Orient et Occident vient compléter ce clivage, tantôt le renforçant, tantôt l’atténuant. Ce qui explique pourquoi les Radicaux ont pu parfois se ranger derrière la Turquie contre l’Autriche (au XVIIe siècle). Cela explique aussi pourquoi, en 2004, la Hongrie a eu le sentiment très partagé de rejoindre l’Occident.

Plus récemment, deux nouveaux termes sont apparus dans les médias pour caractériser à la fois l’attitude à l’égard de l’étranger en général et de l’Occident en particulier :

-Pannonia : désignant les accommodants tournés vers l’Occident

-Hunia : ceux qui sont tournés vers l’Est, parfois tenté par le paganisme, tendance aussi à mettre en relation avec le succès du tatouage en Hongrie.

Un dernier clivage, fondé sur deux tendances littéraires plus anciennes (entre-deux-guerres) :

-les urbains : tendance occidentaliste et moderniste, juive ou catholique ;

-les populistes, attirés par le ressourcement dans la culture paysanne et ancestrale, plus proche de la religion calviniste.

Pourquoi les clivages ont-ils pris de l’ampleur depuis 2010 ?

Les nationalistes sont au pouvoir et les libéraux dans l’opposition.

L’alternance a toujours caractérisé le système électoral hongrois, sauf en 2006 où la majorité sociale-libérale a été réélue.

Peu après les élections de 2006, le Premier ministre a provoqué un scandale national en affirmant, lors une réunion à huis-clos (dont les fuites ont filtré sur internet), qu’il avait menti au pays pour être élu. Des manifestations massives soutenues par l’opposition de droite ont été réprimées avec beaucoup de violence.

Trois éléments nouveaux viennent interférer :

– Le désenchantement vis-à-vis de l’Europe ;

– L’incapacité, à ce jour, de la droite à empêcher le maintien et le retour périodique de la nomenklatura d’ancien régime ;

– L’amertume d’Orban d’avoir été battu en 2006, et l’impression que les jours sont comptés jusqu’aux prochaines élections de 2014.

Sur le désenchantement à l’égard de l’Europe et du changement de régime en général, un exemple : en 1990, les raffineries de sucre du pays ont été privatisées, regroupées, et en définitive fermées sauf une. En réaction contre le risque de surproduction, des subventions européennes ont été transférées en compensation de l’arrachage de betteraves sucrières. La Hongrie a commencé à importer du sucre. Résultat, en 2010, alors que le prix mondial du sucre augmentait sensiblement (notamment en raison du fait que le Brésil s’orientait vers la production d’éthanol), le prix du kilo de sucre payé par le consommateur hongrois, livré au prix du marché mondial, à doublé.

En 2011 la situation est difficile : Les revenus ont subi une baisse de 3 % alors que l’inflation était de 4 %, l’érosion du pouvoir d’achat a donc atteint 7 %.

Face à cette situation de crise, le gouvernement conduit une politique vigoureuse et parfois maladroite ou du moins mal comprise.

UNE POLITIQUE ECONOMIQUE HETERODOXE

Le gouvernement a institué des taxes sur certains secteurs -télécommunications et grande distribution- et les banques. Ces taxes touchent les investisseurs étrangers mais elles sont réputées provisoires.

Il a la volonté de réglementer les services publics de première nécessité libéralisés par l’Union européenne : eau, gaz, électricité. Les entreprises françaises sont touchées par ces mesures. Cette volonté s’explique par le niveau moyen du salaire hongrois : 200 à 300 €/mois.

Il a fixé un taux de change avec le franc suisse et l’euro pour les ménages ayant contracté un emprunt dans ces monnaies pour un achat immobilier en particulier ; la différence entre le taux réglementé et le taux réel étant à la charge de l’Etats et des banques.

Le taux d’imposition a été ramené au taux fixe de 16 %, pour lutter contre l’évasion et la fraude fiscales et blanchir l’économie. Auparavant la tranche d’imposition supérieure à 32 % commençait à 800 €/mois.

L’indépendance de la banque centrale : selon la doctrine économique, pour se préserver de l’inflation, la banque centrale doit être indépendante. Le Premier ministre et le gouverneur de la Banque centrale sont en conflit depuis longtemps. L’étincelle est venue de la décision du gouvernement de plafonner à 6500 € les revenus des hauts fonctionnaires et à titre rétroactif. Le président de la banque nationale a refusé, arguant de l’indépendance de son institution. Par la suite, le gouvernement a tenté par diverses mesures d’imposer son influence sur la politique de la banque (nomination de membres au conseil d’administration, fusion avec l’institution de contrôle de la bourse, et…). La Communauté financière internationale a donné raison au gouverneur de la banque centrale.

La nationalisation des fonds de retraite. La privatisation partielle du financement des retraites avait été imposée à la population par le gouvernement précédent. La grande majorité des fonds de pensions appartenait aux banques étrangères ; selon le système mis en place, le budget de l’Etat contribuait automatiquement à l’abondement des fonds privés. La nationalisation a diminué l’endettement du pays de 5%  pour le ramener à 75 % du PIB.

Déficit budgétaire : Il dépassait régulièrement 3% depuis des années. Le gouvernement, avec des mesures considérées comme exceptionnelles, l’a ramené à environ 3 %. Mais le Commissaire européen aux affaires économiques craint que le déficit structurel demeure.

La cour européenne vient de rendre sa décision en annonçant :

– Une procédure concernant l’indépendance de la Banque centrale

– Et une procédure pour déficit excessif,

D’autre part, le FMI a suspendu les négociations pour une ligne de crédit de 15 milliards d’Euros.

L’INDEPENDANCE DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE

Les compétences de la Cour constitutionnelle ont été réduites, de même que les possibilités de recours. On peut analyser cette situation comme une perte de liberté et de droits et la disparition d’un contre-pouvoir, mais la situation nouvelle est comparable à celle d’autres pays européens. La Cour Constitutionnelle avait été revêtue de pouvoirs importants en 1990 pour empêcher un retour du communisme par la voie électorale.

L’INDEPENDANCE DE LA JUSTICE

Un pouvoir de nomination à plusieurs charges importantes dans l’appareil juridique est concentré entre les mains d’une seule personne. Le gouvernement hongrois réplique qu’il s’agit d’une tradition du système juridique hongrois depuis le XIXe siècle.

LES MEDIAS

Depuis 1990, la majorité des médias est libérale et à gauche. La droite a tenté sans grand succès de compenser le déséquilibre.

Le gouvernement a décidé de légiférer afin que les médias produisent une information équilibrée. Cette législation est inopportune et son bilan est difficile à évaluer, en l’absence de décisions importantes.

La loi a été amendée suite aux critiques de la Cour européenne et de la Cour constitutionnelle de Hongrie. Dans la réalité, la critique du gouvernement dans les médias est vive.

LOI SUR LES RELIGIONS

En 1990, 350 églises ont été enregistrées auprès du Tribunal d’instance. Il suffisait d’indiquer la présence de 100 fidèles. Ont été enregistrées comme Eglises les Rose Croix, Sorciers de Budapest, la scientologie…En réalité, il s’agissait souvent d’obtenir un statut permettant de recevoir des subventions réglementées pour des activités comme l’enseignement et la santé. De plus, les Eglises sont habilitées à recevoir 1 % de l’impôt des particuliers. Les églises historiques réclamaient une nouvelle loi.

La loi du 1er janvier 2012 exige :

– de réunir 1000 fidèles avec des signatures authentiques ;

– de conduire en priorité une activité religieuse ;

– une reconnaissance internationale depuis 100 ans et en Hongrie depuis 20 ans ;

– l’absence de menace pour la dignité humaine.

Au titre de la nouvelle loi, 14 églises ont été automatiquement reconnues par le Parlement (catholicisme et protestantisme, orthodoxie, confession juive), toutes les autres étaient invitées à déposer une demande spéciale sur la base de leur enregistrement ancien. Ainsi, le 1er mars 2012, 27 autres églises ont été reconnues : Anglicans, Méthodistes, Adventistes, Islam, Saint des Derniers Jours, Témoins de Jéhovah, Bouddhistes…

La loi prévoit que la réalité de l’activité religieuse doit être attestée par un avis de l’Académie des sciences. Mais l’Académie a décliné, la Commission des Libertés du Parlement hongrois a donc dû se prononcer de son propre chef.

La Commission de Venise du Conseil de l’Europe a donné quant à elle son avis sur cette loi. Elle estime légitime de vouloir combattre les « business churches » mais, par ailleurs, elle établit un lien entre liberté des cultes et droit de fonder une église. D’autre part, elle émet des doutes sur la capacité du Parlement à définir la religion.

Notons que la scientologie n’est plus considérée comme une église.

CONSTITUTION 2012

Jusqu’en 2012, la constitution en vigueur en Hongrie datait de 1990. Elle avait été élaborée par le dernier gouvernement communiste (réformateur) sur les bases de la constitution de 1947. La Hongrie était le seul pays d’ex-Europe de l’Est qui n’eût pas revu de fond en comble sa constitution.

Le gouvernement a voulu apporter des réformes de fond. La nouvelle constitution est applicable depuis le 1er janvier 2012 et comporte, notamment, les articles suivants :

-le nom du pays : la Hongrie

-la Hongrie est une république -article 2-

-« Seigneur, bénis les Hongrois » paroles de l’hymne que l’on ne cessa pas de chanter sous le régime communiste. Cette disposition a été décriée, même par le journal « La Croix »

-des accents patriotiques et religieux soulignant la vertu unificatrice du christianisme

-mariage entre homme et femme,

-la vie de l’embryon est protégée dès sa conception,

-reconnaissance des droits des minorités,

-interdiction des OGM

-l’Etat n’est pas autorisé à décider en matière scientifique,

Le modèle économique et les mœurs prônés par la Hongrie heurtent l’Europe, qui a menacé de geler des fonds structurels destinés aux régions de Hongrie.

Le gouvernement est conscient qu’il a peu de temps pour agir, afin de ne plus permettre un retour en arrière, d’où une hyper activité législative, 350 lois en 2 ans, qui ont fait surnommer le président de la République (peu regardant) « le président du stylo ». Ce dernier a récemment démissionné suite à la découverte que son doctorat avait été plagié. Remarquons que la multiplicité des lois n’est pas sans poser des difficultés à ceux qui doivent les appliquer ou les interpréter. Vingt ans après le changement de régime, la Hongrie est toujours un pays en transition.