OÙ VA LA TURQUIE : AVENIR NÉO-OTTOMAN OU EUROPÉEN ?
CONFERENCE-DEBAT
27 mai 2015 Mairie du 7e
« OÙ VA LA TURQUIE : AVENIR NÉO-OTTOMAN OU EUROPÉEN ?»
Charalambos PETINOS
Historien, spécialiste de Bizance et de géopolitique de la Méditerrannée
Introduction par Mme Antonia BLEY,
Présidente du Pôle européen de Lyon et Rhône-Alpes.
Nous allons nous intéresser aujourd’hui à un des pays candidats de l’UE la Turquie.
La Turquie jouit d’une position géostratégique de 1er plan, apparaissant comme un trait d’union entre Europe et Asie, autrefois liaison commerciale sur la route de la soie, aujourd’hui point d’arrivée des oléoducs du proche orient vers l’Europe et en position stratégique de 1er plan pour les réserves d’eau de la région.
97 % de son territoire est en Asie Mineure ou Anatolie et 3% en Europe.
Sa population est de 76 millions d’habitants, (recensement de 2013) avec un taux de fécondité de 2,1 enfants par femme bien supérieure à la moyenne européenne, musulmans à 98 %.
La Turquie est née en 1923 avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement des Jeunes Turcs et de leur leader Kémal Pacha Atatürk mettant fin à l’Empire Ottoman et installant une république laïque.
L’Asie Mineure est une région qui a connu des civilisations depuis la plus haute antiquité. Autour d’Ankara les Hittites, disparus sans descendants, à l’Est l’Arménie. La côte peuplée de Grecs depuis la plus haute antiquité a vu la naissance de la philosophie et des sciences grecques avec des figures immenses pour la civilisation occidentale comme Homère natif de Smyrne, Thalès originaire de Milet, le docteur Galien de Pergame. Au sud-est les Assyro-Chaldéens aujourd’hui Irakiens, au sud-ouest les Phéniciens aujourd’hui libano-syriens, et dans les montagnes les Kurdes appelés Cardouques par Hérodote.
A la fin de l’antiquité, cette mosaïque de peuples est devenue chrétienne et a constitué l’empire romain d’Orient avec Constantinople comme capitale.
L’Asie Mineure est le berceau du christianisme.
C’est à Antioche que pour la première fois les disciples du Christ ont été nommés chrétiens. Les conciles œcuméniques qui ont fixé les règles du christianisme ont eu lieu en Asie Mineure (Nicée, Ephèse, Chalcédoine) et à Constantinople. Saint Nicolas était l’évêque de Myre en Lycie. L’apôtre Paul était originaire de Tarse. La Vierge Marie et Saint Jean sont liés à Ephèse.
Enfin et le plus important pour nous, Saint Pothin, Saint Irénée et leurs disciples, venus de Smyrne, sont indissociables de l’histoire de Lyon, et de la Gaule pour y avoir introduit et fondé le christianisme.
L’Empire Romain d’Orient ou Byzantin a survécu 1000 ans à la chute de Rome développant une culture brillante fondée sur l’hellénisme et le christianisme.
C’est en effet la conquête de Constantinople par les Turcs le 29 mai 1453 qui a mis fin à l’Empire Romain d’Orient et installé l’empire ottoman qui a duré jusqu’en 1923 soit environ 5 siècles.
Les Turcs, derniers arrivés en Asie Mineure qui étaient-ils ?
La première précision est qu’il s’agissait de différents peuples apparentés aux Mongols tels les Oghouz, les Turcomans, originaires d’Asie centrale, actuellement : Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan, Kirghizistan et Tadjikistan. Leur berceau serait même le pays Ouïghour actuellement Xinjiang en Chine, faisant parfois l’actualité en raison d’agitations islamistes.
Ils étaient nomades et des conquérants redoutés.
Ce sont les Chinois qui les premiers leur ont donné un nom d’ensemble les Tu Kiu. Les Chinois redoutant leurs incursions ont érigé la muraille de Chine pour s’en protéger.
Leur renommée de guerriers ont conduit les califes Abbassides à les recruter comme mercenaires et c’est par ce contact qu’ils devinrent musulmans.
Ils apparaissent pour la 1ère fois en Asie Mineure à la bataille de Manzikert en 1071. Ils fondent un premier sultanat seldjoukide de Roum autour de Konya , dans le sud-est de l’Asie Mineure, puis ce sont les Osmanlis ou Ottomans qui s’installent dans les années 1300 dans le nord-ouest de la péninsule avant de franchir les détroits et de conquérir Constantinople en 1453.
Ils atteignent leur extension maximum au 16e siècle sous Soliman le Magnifique.
Mais les Turcs ne pensaient pas arrêter à Constantinople leur mouvement de migration et menaçaient l’Ouest de l’Europe.
Coalisés par la menace, les Occidentaux remportèrent deux victoires décisives, sur mer et sur terre, qui mirent fin aux prétentions turques :
-sur mer, ce fut en 1571 la victoire de Lépante à côté de l’actuelle Patras en Grèce.
Le souvenir de cette victoire est encore présent à Lyon évoqué sur une mosaïque murale sur le côté latéral gauche de la basilique de Fourvière,
-sur terre, ce fut la victoire de Vienne en 1683, qui stoppa leur avance et amorça leur déclin.
Le 19e siècle vit leur reflux des territoires européens suite aux soulèvements victorieux de la Grèce et des pays balkaniques, de la libération de l’Egypte et de l’Algérie.
Les Turcs régnèrent donc de 1453 à 1923, sur une mosaïque de peuples pour la plupart chrétiens à l’origine, installant une nouvelle religion l’Islam, apprise de leurs anciens maîtres Arabes. Les Chrétiens sont aujourd’hui moins de 1 %.
Pendant ces 5 siècles, ils installèrent un modèle de société basé sur la distinction entre les citoyens selon un critère religieux : les musulmans, citoyens de plein exercice, les non musulmans ou dhimmis, citoyens de 2e catégorie, notamment soumis à une taxe spéciale, une capitation le kharaç.
Au-delà de son intérêt fiscal, cette taxe était aussi incitative à la conversion ce que firent les plus pauvres, tout comme pouvait être incitatifs l’enlèvement des garçons pour en faire des janissaires et des filles pour les harems.
Les Turcs choisirent en qualité d’interfaces des peuples soumis, les dignitaires religieux de ces peuples leur confiant la gestion du droit des personnes et notamment du registre de l’état civil. Ainsi, en conséquence de cette organisation, l’identité des peuples conquis s’est fixée et développée autour de leur religion. Ceci est un point d’importance qui peut expliquer bien des situations actuelles.
La 1ère guerre mondiale a vu l’empire ottoman se ranger aux côtés de l’Allemagne.
La fin de la 1ère guerre mondiale a entraîné également la fin de l’empire ottoman.
Profitant de la focalisation sur la 1ère guerre mondiale, les nationalistes du mouvement jeunes Turcs, ayant comme leader Kemal Pacha, ont parachevé la purification ethnique de l’Asie Mineure commencée en 1895, pour turquiser le pays.
La politique de nettoyage ethnique visait dans un premier temps, les peuples autochtones, non turcs et non musulmans : Grecs, Arméniens, Assyro-Chaldéens, Syriaques tous présents depuis la plus haute antiquité, les syriaques parlant encore l’araméen la langue du Christ.
Cette politique de déportation et d’extermination systématique de ces populations, selon le schéma maintenant connu du génocide arménien dont nous venons de commémorer le centenaire, s’est développée de 1895 à 1922.
Puis, peu avant la 2e guerre mondiale, en 1937, 1938, les Turcs s’en prennent aux Kurdes à qui ils reprochent de vouloir un état sur leurs terres ancestrales, et aux Alevis, musulmans, à qui ils reprochent de ne pas être sunnites.
Lors de la 2e guerre mondiale, la Turquie reste neutre.
Mais, 5 mois avant la fin de la Guerre, elle rejoint les alliés ce qui lui permit de bénéficier, après-guerre, du Plan Marshall et de devenir membre fondateur de l’ONU en 1949, puis membre du Conseil de l’Europe, de l’OTAN, de l’OCDE, de l’OSCE et du G20.
Pays candidat à l’Union Européenne, elle bénéficie des fonds attachés à ce statut (quelques 5 milliards pour la période 2007/2013), de la délocalisation des usines, notamment françaises, textiles et automobiles (Renault à Bursa) et du séjour d’une part très importante des touristes européens.
Par contre, la Turquie a une position très originale pour un pays candidat : elle ne reconnaît pas Chypre, un des membres de l’UE qu’elle veut rejoindre, et en occupe militairement 1/3 du territoire, devenu territoire européen depuis 2004, date d’adhésion de Chypre à l’UE.
Tout en affichant un tropisme occidental et européen, la Turquie garde des liens privilégiés avec les pays musulmans et avec les pays d’Asie centrale en qualité de membre notamment de l’Organisation de la conférence islamique fondée par l’Arabie Saoudite, regroupant 57 membres pour promouvoir la solidarité islamique , la coopération économique, politique, sociale, culturelle et scientifique, la sauvegarde des lieux saints, le soutien de la lutte du peuple palestinien.
Elle est également membre de l’organisation de Coopération économique qui vise à l’établissement d’un marché unique à l’image de l’UE entre les pays turcophones d’Asie centrale , Turquie, Pakistan, Afghanistan, l’Iran, Azerbaïdjan, Khazakstan , Kirghizistan, Tadjikistan, Turkménistan, Ouzbekistan.
De même, la Turquie est membre du Conseil Turcique, organisation internationale regroupant 4 états turcophones Turquie, Azerbaïdjan, Khazakstan, Kirghizistan.
La Turquie a des contradictions qui se matérialisent de plus en plus dans sa politique récente.
Pour nous décrypter l’actualité, nous avons invité M. PETINOS, historien spécialiste de Byzance et de la géopolitique de la Méditerranée, auteur d’un livre très documenté sur ce thème :
« Turquie : entre nostalgie ottomane et mythe européen » Ed. Variations 2015
Conférence de M. Charalambos PETINOS :
« Où va la Turquie : avenir néo-ottoman ou européen? »
La Turquie est imprégnée par l’esprit de Sèvres, traité signé en 1920 avec les vainqueurs de la première guerre mondiale France et Royaume Uni, qui morcelait l’empire ottoman, rendant l’Ionie à la Grèce (région de Smyrne) tout en créant un état kurde, un état arménien et trois protectorats, français (Liban, Syrie), anglais (Irak, Palestine) et italien.
Kemal Pacha Atatürk refusant ce traité a continué la guerre et fort de sa victoire militaire contre les alliés de la première guerre mondiale, a obtenu gain de cause avec le traité de Lausanne signé en 1923. Ce traité a créé la Turquie sous la forme d’un état unitaire déracinant l’hellénisme présent en Asie Mineure depuis 35 siècles, refusant un état aux Kurdes présents depuis l’antiquité, et aux Arméniens un Etat à la mesure de leur population (les Jeunes Turcs voulaient créer un Etat ethniquement homogène par les génocides des populations différentes, Grecs, Arméniens…).
L’armée est souvent intervenue au nom de la laïcité jusqu’au dernier coup d’état de 1980, suivi par la montée de l’islamisme dans la société, puis une grande crise économique dans les années 2000. La victoire d’Erdogan en 2002 a apporté des changements en Turquie.
Ahmet Davutoglu (actuellement Premier ministre après avoir été ministre des Affaires étrangères), est devenu le conseiller diplomatique du Premier ministre Erdogan et le maître à penser de la politique étrangère. Il dévoile son idéologie dans son livre « Profondeur stratégique » et définit la place et le rôle de la Turquie dans le monde. Selon ses propos, le monde bipolaire a pris fin dans les années 1990 avec l’effondrement de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide ; il n’y a plus de séparation nette entre économie et idéologie. Le monde est devenu multipolaire façonné par les modes de penser ou les religions et les oppositions sont devenues civilisationnelles. Toujours selon Davutoglu, la Turquie laïque a abandonné ses droits et intérêts nationaux au profit des occidentaux notamment Etats-Unis. Il relève cependant deux points positifs pour la République turque : Chypre, avec l’invasion et l’occupation d’une partie de son territoire par l’armée turque, et le sandjak d’Alexandrette (territoire syrien passé, après différentes péripéties, de protectorat français à la Turquie). Davutoglu pense également que la Turquie a toute sa place dans le monde multipolaire pour devenir un des centres les plus importants au niveau mondial. Cette idéologie et cette volonté turque se traduisent dans le néo-ottomanisme basé sur le lien avec l’Islam.
La Turquie, bien que candidate à l’Union européenne veut redevenir le centre de l’espace occupé par l’ancien Empire ottoman. Cette politique est visible depuis 2003 avec la première guerre du golfe où l’on a vu la Turquie refuser le passage aux transports américains. En 2009, à Davos, à propos de Gaza et face à Shimon Perez, Erdogan (alors Premier ministre) a quitté la salle avec éclat devenant un héros du monde musulman. De même, l’affaire du Mavi Marmara – bateau affrété par une organisation non gouvernementale turque pour briser le blocus de Gaz qui a conduit à l’’intervention d’Israël causant la mort de 9 citoyens turcs – a envenimé gravement les relations entre la Turquie et Israël.
La Turquie d’Erdogan-Davutoglu se considère comme un état central dans un monde multipolaire et souhaite avoir la place et l’importance qui va avec ce statut.
LA TURQUIE ET L’UNION EUROPEENNE
Premier contact en 1959 et premier accord en 1963, la Turquie est dans l’antichambre de l’Union européenne depuis 50 ans.
La candidature a été reconnue finalement en 1999 après plusieurs rejets.
Les négociations d’adhésion ont commencé en 2005 avec l’aval de Chypre, devenue membre de l’UE en 2004. Chypre considère, en effet, qu’une Turquie européenne serait mieux à même de régler le problème chypriote, c’est-à-dire l’occupation turque et la division de facto de l’île.
Un premier chapitre de l’acquis communautaire, celui de l’enseignement et de la recherche a été ouvert ; il a été clos rapidement car il ne posait pas de problème politique particulier.
Pour l’ouverture des négociations d’adhésion, la Turquie a pris certains engagements à l’égard de l’Union. Parmi ces engagements il y avait l’obligation de normaliser ses relations avec tous les membres de l’Union européenne alors que depuis 1974, date de l’invasion de Chypre par l’armée turque, elle ne reconnaît pas Chypre, qu’elle ne reconnaît d’ailleurs toujours pas. Le Conseil européen de 2006, n’a noté aucun progrès en ce sens, constatant par ailleurs que des valeurs de l’Union européenne n’étaient pas respectées par le candidat à l’adhésion.
En outre, et toujours dans le domaine des relations entre l’UE et la Turquie, il faut noter que depuis 1996, cette dernière est dans l’union douanière avec l’Union. Un protocole additionnel à l’accord initial (le protocole d’Ankara) prévoyait l’extension de l’union douanière à tous les nouveaux membres de l’Union européenne. En violation de ce traité, les avions et les bateaux chypriotes ne peuvent atterrir ou accoster en Turquie. Pire encore, les avions et les navires ayant atterri ou accosté à Chypre sont interdits d’atterrir ou accoster en Turquie, quel que soit leur pavillon ! Ceci est d’autant plus étonnant que chaque Etat membre de l’Union a un droit de veto in fine concernant l’adhésion d’un nouvel état dans l’UE. Evidemment, à ce titre Chypre possède un droit de veto sur l’adhésion de la Turquie…
En quelque sorte, la Turquie considère que l’Union européenne doit négocier l’acquis communautaire. A titre d’exemple, le vice-Premier ministre turc Bülent Ariç a déclaré « il faut que nos amis occidentaux comprennent qu’il y a une autre conception des droits de l’homme que celle des occidentaux Nous sommes en négociation, nous devons nous changer mutuellement pour que les choses puissent se faire». C’est comme si la Turquie voulait rendre turco-compatible l’Union européenne, tandis que dans la réalité, un pays qui souhaite adhérer dans un ensemble doit adopter les règles régissant cet ensemble au moment de l’adhésion ; en d’autres termes, la Turquie, comme tout candidat à l’adhésion à l’UE, doit adopter l’acquis communautaire et adapter sa législation et son comportement en fonction de cela.
En 2006 donc, le Conseil de l’Union européenne a gelé, concernant les négociations d’adhésion de la Turquie, 8 chapitres de l’acquis communautaire. Ces chapitres sont liés notamment au refus de la Turquie de reconnaître Chypre et d’appliquer l’Union douanière à Chypre. Les chapitres suspendus sont en lien avec les restrictions imposées par la Turquie à l’égard de la République de Chypre, mais il s’agit d’une décision unanime et collective de tous les Etats membres de l’UE. Ces chapitres sont : Chapitre 1 : Libre circulation des marchandises, Chapitre 3 : Droit d’établissement et libre prestation de services, Chapitre 9 : Services financiers, Chapitre 11 : Agriculture et développement rural, Chapitre 13 : Pêche, Chapitre 14 : Politique des transports, Chapitre 29 : Union douanière et Chapitre 30 : Relations extérieures.
PRINTEMPS ARABES
Le néo-ottomanisme, comme le gouvernement islamo-conservateur de la Turquie le conçoit, implique un espace homogène recouvrant en gros l’ancien Empire ottoman, avec l’islam sunnite comme ciment.
Egypte : Erdogan a été le premier chef d’Etat à rendre visite au président Morsi en Egypte (Frères Musulmans). Le président turc a mis en avant le modèle turc : un Islam laïc semblable à la démocratie chrétienne. Par la suite, la Turquie n’a pas accepté le changement intervenu en Egypte avec la déposition de Morsi. Les relations entre les deux pays sont depuis au point mort.
Syrie : la Turquie s’est posée comme médiateur entre la Syrie et Israël pour le Golan, puis elle a eu pour objectif de chasser Assad. La Turquie a aidé les groupes islamistes Al Nosra, proche d’Al Quaïda, et Al Sham, salafistes.
Le pétrole actuellement exploité par le Daech (Etat Islamique) en Irak est vendu via la Turquie.
Les djihadistes sont soignés en Turquie.
Les Kurdes : Un embryon de Kurdistan irakien s’est créé. De même en Syrie avec notamment la ville de Kobané qui fut un symbole de la lutte des Kurdes contre l’EI.
Au siège de Kobané encerclé par les djihadistes, la Turquie n’a pas bougé et n’a pas laissé les Kurdes passer la frontière pour aller combattre à Kobané. Il a fallu attendre des manifestations violentes dans les villes turques.
Aux yeux de la Turquie, un état kurde est plus dangereux que l’Etat Islamique.
RELATIONS CHYPRE/TURQUIE
La Turquie ne reconnaît pas la République de Chypre ; elle reconnait par contre l’entité autoproclamée de la « République turque de Chypre du Nord » (RTCN), créée et soutenue par elle depuis l’invasion et l’occupation du mord de l’île en 1974.
La Turquie continue d’occuper le tiers nord de Chypre avec une armée de 40 000 hommes et a installé sur ce territoire occupé environ de 200 000 colons pour changer la donne démographique. (Avant l’invasion la population de Chypre était de 600 000 personnes, grecque à 82 %).
Carte No 1 : Répartition de la population chypriote avant et après l’invasion turque : nettoyage ethnique
Une nouvelle difficulté est apparue dans l’ensemble de la Méditerranée orientale avec la découverte du gaz naturel dans la zone économique exclusive de Chypre.
La convention des Nations Unies sur le droit de la mer détermine la zone économique exclusive des pays riverains à 200 miles marins. En application de cette convention, Chypre a signé des accords de délimitation avec le Liban (accord signé, en cours de ratification), Israël (accord signé et ratifié), et l’Egypte (accord signé et ratifié).
A titre d’exemple, la parcelle No 12 exploitée avec la société américaine Noble Energy, après un accord avec le gouvernement chypriote, contiendrait 100 à 170 milliards de m3 de gaz et devrait rapporter 50 milliards sur 20 ans (voir ci-après la carte No 2).
Carte 2 : parcelles déterminées par Chypre, après signature avec l’Egypte, Israël et le Liban.
La Turquie n’a pas ratifié cette convention du droit de la mer. Elle ne reconnaît pas de zone économique exclusive aux îles et donc à Chypre (néanmoins de manière arbitraire et contradictoire la Turquie n’a pas hésité à signer un accord de délimitation de sa zone économique exclusive avec la « RTCN », voir les cartes No 3 et 4 ci-après).
Dans le même domaine, la Turquie a envoyé, en violation du droit international, un navire de recherches sismiques (le Barbaros) accompagné des navires de guerre, dans la zone économique exclusive de Chypre à la fin 2014. Cela a mené à la suspension des négociations pour la solution du problème chypriote et la réunification de l’île, négociations qui sont menées sous l’égide du Secrétaire général de l’ONU. Les négociations ont repris en mai 2015, après le retrait des navires turcs de la zone économique exclusive de Chypre.
Carte 3 : Revendications turques. La Turquie ne reconnait pas aux îles le droit d’avoir une zone économique exclusive. Elle considère que ce qui est représenté en rose lui appartient (cela viole également la zone économique exclusive de la Grèce) et ce qui est représenté en vert appartient à la « RTCN » non reconnue internationalement sauf par la Turquie, son créateur.
Carte 4 : Etablissement des zones économiques exclusives des pays de la Méditerranée orientale, suivant la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Il est à rappeler que cette convention fait également partie de l’acquis communautaire et par conséquent tout nouvel Etat adhérant à l’UE doit la ratifier et l’appliquer. La Turquie, candidat à l’adhésion refuse de le faire.
Des problèmes similaires existent également entre la Turquie et la Grèce autour des îles grecques de la mer Egée.
Avec l’AKP, des luttes internes à la Turquie sont apparues avec les laïcs qui luttent contre l’islamisation de la société.
De même, la confrérie Fetullah Gülen, très présente dans l’enseignement, la police, la justice et le milieu militaire, d’abord allié de l’AKP au début de son gouvernement, est en guerre ouverte avec celui-ci depuis 2006-2007. De cette époque date la mise au pas de l’armée et Erdogan n’avait plus besoin du soutien des gülénistes…
La marche vers l’Union européenne a été utilisée contre l’armée. Le scandale Ergenekon, où des militaires de haut rang ont été accusés de trahison et écartés, a donné à l’AKP l’occasion d’épurer l’armée et d’y placer ses propres cadres.
La politique suivie par la Turquie à l’égard de l’Etat Islamique n’est pas du goût de tous.
La Turquie n’a pas une population homogène turque sunnite. Les Kurdes représentent environ 20 % de la population du pays. Les Alévis, branche hétérodoxe de l’islam, représentent également environ 20 %. A propos de ces derniers, rappelons que l’alévisme regroupe des membres de l’islam dits hétérodoxes et revendique la tradition universelle et originelle de l’islam et plus largement de toutes les religions monothéistes. Il s’agit d’un large syncrétisme qui donne une approche très libérale de la religion. Les alévis sont musulmans mais n’ont pas l’obligation des cinq prières quotidiennes ni du pèlerinage à La Mecque, ils boivent de l’alcool et les femmes ne sont pas voilées. Leur lieu de culte n’est pas la mosquée mais le cemevi, (cem evi) qui signifie, en turc, maison ou lieu du rassemblement.
Enfin, il apparait clairement que le dogme promu par Ahmet Davutoglu « zéro problème à l’intérieur zéro problème avec les voisins » tend à devenir « zéro voisin sans problème »…